Depuis
quelques temps circulent sur les réseaux sociaux des listes qui invitent chacun
à déterminer à combien « des 100 meilleurs jeux vidéo » il aurait
joué, et chacun de participer avec joie en essayant d’atteindre le plus haut
score possible.
Mais
sans compter que ces listes sont fortement subjectives (elles pourraient être
au moins basées sur les ventes, sur les sondages Famitsu, etc.), avoir un bon
score pour moi est plutôt la marque d’une consommation aveugle, perpétuelle, d’un
marché qui ne cesse de me montrer tous les jours à quel point il est encore
jeune et immature. Parce que avoir joué à 90 (ou 110 !) des « 100 jeux » de
cette liste, ce n’est pas la marque du gamer,
c’est la preuve soit que la personne en question est journaliste, soit qu’elle
ne consomme pas des jeux vidéo, mais du jeu vidéo. Or, ce n’est pas mon cas,
et de nombreux jeux me sont interdits, comme beaucoup le seront à d’autres dans
50 ans, quand le monde vidéo-ludique aura enfin un peu d’histoire et qu’il aura
acquis une certaine forme de maturité (pour autant qu’on puisse parler de « maturité »
dans le monde des loisirs).
Je
vais m’expliquer.
Une industrie jeune
De
tous les marchés des loisirs, « l’industrie » du jeu vidéo est sans
doute la plus jeune. Plus jeune que la télé, encore plus jeune que le cinéma et
ridicule embryon face au vénérable marché de l’imprimerie. Et j’en veux pour
preuve que contrairement aux autres marchés, le jeu vidéo commence seulement
maintenant (enfin !) le passage des générations. Les enfants qui naissent
de nos jours (et depuis pas plus d’une petite décennie) ont de bonne chance d’avoir
des parents gamers, mais ceux qui ont
plus de 40 ans aujourd’hui sont, on peut sûrement le dire, en grande majorité
complètement ignorants du monde du jeu vidéo, ce qui explique certainement en
partie pourquoi on parle tellement de la violence dans lesdits jeux, de la
censure, des notations PEGI, CERO, etc.
Parle-t-on
au niveau politique de la violence au cinéma ? Très peu. Dans les livres ?
Jamais, ou alors seulement si elle appelle au génocide des Juifs (alors que
paradoxalement, vous remarquerez que tuer des Arabes dans des jeux vidéo, c’est
encore considéré comme cool).
Bref,
cette « industrie » est tellement jeune qu’il n’y a qu’une « industrie »,
justement. Une grosse et une petite, mais une « industrie » quand
même. Il n’y a pas encore (pas de façon marquante et conséquente, je veux dire)
un « artisanat » du jeu vidéo, qui soit artistique et sans logique de
profit… Et qui devienne universellement reconnu quand même. Pourtant, il y a
des écrivains qui deviennent mondialement connus sans même trouver d’éditeur et
des vidéos fabriquées sans crowfunding,
sans chaîne de télé et sans salaire qui reçoivent une renommée internationale
via Youtube, ou même sans.
Pourquoi pas dans les jeux vidéo ? Je
pense que vous avez compris.
Le Moyen-âge du jeu vidéo
Nous
sommes donc au Moyen-âge du jeu vidéo. Il existe déjà, est bien lancé sur ses
bases, mais est encore le ressort d’un « clergé » qui détient tous
les outils et tous les moyens pour le produire. Sous le regard critique, bien sûr,
mais bienveillant aussi, des souverains et de leurs sujets.
Nous
sommes donc, sur le plan de l’Histoire du jeu vidéo, à l’époque des bûchers et
des presses royales. On brûle ce qui ne nous convient pas et les presses
appartiennent à quelques puissants qui choisissent qui, quoi, comment et pour
combien. Non pas qu’à l’époque actuelle ce soit quelque chose que nous ayons
choisi consciemment, c’est simplement que le « média » jeu vidéo, en
l’état, n’existe pas (encore) hors de la logique de profit, de consommation et
de marché, contrairement aux autres vecteurs de loisirs. Après tout on peut
passer sa vie à – légalement – lire des ouvrages libres de droits ou regarder
des films gratuitement (encore que – si on reste dans le légal – cela ne permette
peut-être pas de briller en société). Pour le jeu vidéo, bernique. Le free-to-play n’est pas un jeu gratuit,
bien au contraire, il correspond à une logique payante de profit encore plus marquée que pour les autres
jeux vidéo.
Ce n’est
pas une critique acide que je fais ici, mais un état de fait. L’Histoire
avance, et le jeu vidéo aussi. Dans 50 ans (sous réserve de fin du monde), les
jeux occuperont dans la société (j’espère), la politique, les mœurs, les livres
d’école, la même place que la littérature, le cinéma ou la musique. C’est juste
que ce n’est pas encore le cas aujourd’hui.
Et
ce sera un beau jour que celui où, entre amis, on ne parlera plus du jeu vidéo, mais d’un auteur de jeu vidéo, d’un style ou d’un éditeur. Quand les jeux vidéo auront pris dans l’inconscient
collectif leur place à côté des livres et des séries.
Quand
on ne sera plus pris pour un ignorant ou un débile quand on dira qu’on joue essentiellement à de la fantasy et de la SF, mais pas à la
guerre, aux voitures ou au sport.
Il n’y a pas de jeu vidéo
Il n’y
a pas de jeu vidéo, et c’est mon combat. Dans une industrie naissante, on peut
se permettre de parler « des meilleurs », mais dans une industrie
mature cela n’a pas de sens. Pas si on a des goûts et des envies un tant soit
peu construites.
J’ai
rarement vu une liste « des 100 meilleurs livres » qui propose autre
chose que des romans internationalement reconnus et facilement disponibles. C’est
certes encore bien trop vaste pour moi, mais la sélection est déjà énorme. Le
nombre de livres qui peuvent faire partie d’une liste sur ces seuls critères
est extrêmement réduit. Or les listes de jeu vidéo que j’ai vues ces derniers
temps sont bien loin de tout cela : on trouve dans la même liste des jeux
quasiment introuvables depuis 20 ans, de vieux RPG japonais, des jeux sortis
dans l’année qui n’ont pas encore fait leurs preuves, des casses-briques, des
jeux de plate-forme et le tout sur pas loin de 15 (?) machines différentes
(ceux qui font les listes sont donc soit journalistes, soit gosses de riches,
soit pirates, je ne vois pas d’autres explications).
Vous
imaginez une liste des « 100 meilleurs livres » qui proposerait tout
à la fois le Seigneur des Anneaux,
les Œuvres de Bakounine[1],
la Véritable histoire de Ah Q (Lu
Xun), le Kojiki, le Code napoléon et Heidi (Johanna Spyri), comme ça, en vrac ? Franchement, à qui
ça paraîtrait pertinent ? (Et qui d’entre vous peut prétendre connaître chacune
de ces seulement 6 œuvres ?)
Oui
on peut parler des « meilleurs romans », des « meilleurs œuvres politiques »,
des « meilleurs sagas de fantasy »,
mais établir un panthéon des « meilleurs livres » ce serait
prétentieux et une occasion pour celui qui fait la liste de montrer à quel
point il sait étaler des connaissances qu’il n’a pas.
En
partant de là, donc, je peux le dire, je
n’aime pas le jeu vidéo. J’aime certains genres, certains styles, certains
auteurs. Exactement comme pour les livres. Exactement comme pour les films ou
les séries. Exactement comme pour les jdr.
J’attends
donc pour « jouer le jeu », le moment où on reconnaîtra, dans la communauté du jeu vidéo, que c'est simplement un média, et que, du coup, on peut y faire son libre choix entre des « courants »,
des « styles » et des « genres ». On le peut déjà bien sûr, mais on peut difficilement se faire accepter en tant que gamer
dans ces conditions, pas dans un milieu geek qui, lui-même, manque encore d'une certaine maturité.
Après tout, je reconnais bien que les fans de Bit-lit
peuvent aussi être des geeks, même si je n’en lis pas (et n’en lirai pas)
moi-même.
Mais
tant qu’on considérera normal, si on veut être gamer, de jouer à GTA5 après avoir fini Skyrim, le tout entrecoupé
de parties de FIFA et de Idol Master comme si de rien était, non.
Je
ne regarde pas le foot, ni Top Models (Amour, Gloire et Beauté), même pour
patienter entre Game of Thrones et Dexter. Pourquoi ça changerait quand je joue ?
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