2013年3月1日金曜日

Sur nos monts quand coule le sang...

Dans le registre "Choc culturel", j'ai un tiroir plein de trucs. Après tout j'ai tiré deux ans et demi de vie japonaise (avec une compréhension plus ou moins parfaite de toutes les réflexions possibles des gens du cru) et voilà plus d'un an maintenant que, moi, petit Suisse de la campagne, je traîne mes pattes dans la plus grande agglomération française.
Les chocs culturels helvético-français, ça ne doit pas être grand-chose, me direz-vous. Et pourtant faut pas déconner, des fois, il y a de quoi tomber des nues tellement ça va loin. Je vous détaillerai certaines de mes découvertes administratives et culturelles un autre jour, mais aujourd'hui j'ai réalisé à quel point, sur le plan musical, la sacrosainte République gauloise gravitait dans une autre Voie lactée que ma campagnarde Helvétie.

Pour ceux qui nagent encore dans le bourbier de ma glose, je parle ici d'hymnes nationaux.
Pas plus tard que tout à l'heure, je me retrouvais chez une de mes jeunes élèves qui avait besoin d'aide pour apprendre cet illustre morceau de poésie qu'est la chanson officielle de l'Etat français, j'ai nommé la douce et paisible Marseillaise.


Soyons honnête, je la connaissais déjà, et je m'étais déjà fait cette réflexion, mais quand même, j'avais failli oublié à quelle point ce morceau n'a juste rien à foutre ici, au XXIème siècle, à part comme torture psychologique pour jeunes élèves qui n'ont rien demandé, et pour bien rappeler à tous que, à chaque fois que les Français doivent être fiers de quelque chose, il faut que ça soit un bain de sang, une tradition barbare ou une action militaire en tout genre (comme chacun le sait, l'armée n'existe que pour promouvoir la paix. Mais avec des morts et de la tripaille, la paix, c'est toujours plus crédible).

Voyez plutôt en quoi consistaient les tourments du jour (que je me suis efforcé d'apprendre en même temps que ma jeune disciple - mouahahahah).

(Je vous passe le refrain, qui appelle à cultiver ses patates en utilisant du sang comme engrais et le premier couplet qui nous explique que la tyrannie vient bien entendu des campagnes).

Amour sacré de la Patrie,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs ! (bis)
Sous nos drapeaux que la victoire
Accoure à tes mâles accents,
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire !


Je traduis donc : la Liberté, c'est un truc de mecs, viril, un truc de patriotes qui considèrent la République et l'Etat comme une religion d'Amour ; lequel Amour, bien entendu, sert à acquérir la victoire et la vengeance sur nos ennemis, mais seulement pour nous défendre. Et bien sûr, rien de bien méchant, on veut juste bien montrer à nos ennemis agonisants (voire peut-être même avant de les exécuter pour le fun en masse à la guillotine) qui c'est les patrons.
Je peux vous assurer que l'explication de textes à ma jeune pupille (bon, je vais éviter les synonymes, ça commence à devenir tendancieux) a été une jolie séance de fous rire. Je ne crois pas que la nouvelle génération comprenne la beauté sacrée du patriotisme républicain.

Après ce passage fort poétique, le couplet destiné aux enfants.
"Ouf !" ai-je alors pensé, peut-être s'agira-t-il d'autre chose. Ou pas, finalement.

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n'y seront plus,
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus (bis)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre


Le résumé est plus subtil, parce que si les mots sont plus simples, il faut comprendre que carrière, ici, signifie armée (c'était même écrit en toutes lettres dans le manuel).
Donc : nous, les enfants, on deviendra des soldats, et tout ce qu'on voudra, c'est soit faire comme nos vieux, autrement dit crever comme des merdes pour la République, ou venger les vénérables décédés, toujours, je ne puis que supposer, dans une optique de défense légitime.
Jolie leçon de morale pour notre jeunesse. Je suis sûr que, quelque part, il y a des gens qui sauront expliquer en quoi cet hymne n'est pas celui d'une dictature militaire... Mais je pense qu'ils devront affiner leurs arguments longtemps.

Bon, je ne vais pas jouer au con plus longtemps. Ok, je suis d'accord, il y a un contexte, une époque. Mais quand même, cornebizouille, ça se change, ça se réforme un hymne (enfin, je crois malheureusement que parler de réforme politique en France, c'est un peu comme de parler d'intégration des étrangers à un Japonais...). Celui-là a même pourtant été repris par les communistes russes, alors rien n'est sacré, voyez-vous. Au XXIème s. il serait peut-être temps de trouver des paroles un peu plus en rapport avec les volontés pacifistes, unificatrices de la jeune Union Européenne. Je sais pas, je dis ça comme ça, si jamais quelqu'un écoute.

Et puis le contexte, franchement, ça n'excuse rien. Je parle de choc culturel. Vous le connaissez mon hymne national ? Voici le premier couplet :

Sur nos monts quand le soleil
Annonce un brillant réveil,
Et prédit d'un plus beau jour le retour,
Les beautés de la patrie
Parlent à l'âme attendrie ;
Au ciel montent plus joyeux (bis)
Les accents d'un cœur pieux,
Les accents émus d'un cœur pieux.



Et c'est comme ça de bout en bout. Et ça n'est pas beaucoup plus vieux que la Marseillaise, alors on me la fait pas.
C'est un peu naïf et pas mal religieux, très contemplatif, je ne suis pas non plus un fervent fan, mais franchement, il y a des jours où des petits détails comme ça me rappellent la nature même du choc culturel franco-suisse : je viens d'un pays qui fantasme sur ses Alpes et la beauté de ses coteaux, seul dans son coin, et je vis dans un Etat qui n'arrive pas à s'affranchir des fantasmes sanglants et barbares de sa/ses Révolution(s) ratée(s)...

Voilà pour les railleries du jour. A vous !

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